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lundi 21 février 2011

Cantique composé par Henri IV après la bataille d’Ivry (1594)

Reproduit par Justin Édouard Cénac-Moncaut, Histoire des peuples et des états pyrénéens, t. IV, 1873, pp. 207-210, en note.

(1) Le cantique fait en l’honneur de Dieu, par Henri de Bourbon, de ce nom très-chrétien, roi de France et de Navarre, après la bataille obtenue sur le ligueurs en la plaine d’Ivry, le 14 mars 1594, fut publié en 1594 par le libraire Guichard Jullieron, de Lyon, à la suite d’une relation de la bataille d’Ivry, format petit in-12.

Puisqu’il te plaist, Seigneur, d’une heureuse poursuite,
Espandre libéral sur moy ton serviteur
Un monde de bienfaits, et qu’ore en ma faveur
Tu as mis justement mes ennemis en fuite,
Je ne veux me cacher sous un ingrat silence,
Ou trop fier m’eslever en ma faible vertu ;
Je veux dire que toy ce jour as combattu,
Et rompu des meschants la superbe arrogance.
Je chante ton honneur sous l’effet de mes armes,
A ta juste grandeur je rapporte le tout :
Car du commencement, du milieu, jusqu’au bout,
Toy seul m’as guaranty au plus fort des allarmes.
L’ennemy forceneur, appuyé sur son nombre,
Se promettoit le gain du combat furieux.
Enflé de trop d’orgueil pensait, victorieux,
Mettre dessus mon chef un si mortel encombre
Rien que sang ne que meurtre en son camp ne résonne.
Là l’Espagnol cruel, et l’avare Germain,
L’Italien, le Suisse, et le lâche Lorrain
Se vantoient, insensés, de perdre ma couronne.
Du plus haut de ton ciel regardant en la terre,
Mesprisant leur audace, et de graves sourcis
Desdaignant ces mutins, soudain tu les as mis
Au plus sanglant malheur que peut porter la guerre.
Comme l’ours qui descend du haut de la montaigne,
Estonne, furieux, le troupeau qui s’enfuit,
Cette armée, par toy estonnée, produit
Le semblable soudain en quittant la campaigne.
J’ay vu l’estonnement, et ma troupe esbranlée,
A demy l’a senty; mais alors, tout certain,
De ton secours, Seigneur, j’ai suivi mon dessein,
Et marchay courageux encore en la meslée.
La victoire esbranlait, douteuse et incertaine;
Certaine toutefois, elle tourne vers moy.
Mes gens reprennent coeur et secourent leur roy,
Renversant, coudoyant cette troupe inhumaine.
L’heure à demi encor ne s’estoit avancée,
Qu’avancé je me veis au-dessus des meschants,
Et méprisant l’effort de leurs glaives tranchants,
Je veis en ma fureur leur fureur renversée.
Du coursier généreux la carrière plus viste,
Tardive se trouvoit à tous ces gens fuyarts
Courans espouvantés, rompus de toutes parts,
J’ay la terre touché, en leur honteuse fuite.
Le jour cesse plus tôt que la chasse ne cesse,
Tout ce camp désolé ne se peut asseurer,
Et à peine la nuit les laisse respirer,
Car les miens courageux les poursuivent sans cesse.
Là j’ai foulé l’orgueil de l’Espagne trop fière,
Et au prix de son sang j’ai gravé, valeureux,
Du tranchant coutelas sur son soldat psoureux
De fuite et lascheté le lasche vitupère.
L’Italie a sa part à cet honteux diffame,
Le Wallon, le Lorrain y a perdu l’honneur,
Le desloyal François y reçoit la terreur,
Et tremblant, estonné, ma douceur il réclame.
Mille et mille sont mors, et en cette poursuite,
J’ay veu les grands effets de ton sainct jugement,
Qui tarde quelques fois, mais plus violemment,
Les meschants en ruyne enfin il précipite.
C’est toi, Seigneur, qui as parachevé cest oeuvre,
Cest oeuvre tout entier, ô mon Dieu, tu l’as fait;
Tu tes servi de moy pour le rendre parfait,
Et sur moy en cela ta bonté se descoeuvre.
Humble, recognoissant tes bontés paternelles,
Je loue ta grandeur, de tout ce qui est en moy,
Et puis que je n’ay rien que je n’aye de toy,
A toy rendre je doy ces graces solennelles.
Seigneur, tu m’as donné la volonté très-bonne;
De ne rester ingrat donne moy les effets :
Car je veut tesmoigner les biens que tu m’as faits,
Et faire que ton nom en ma France resonne.
N’y le sceptre royal n’y la grandeur mondaine,
De divers courtisans, n’y mes propres desseins,
N’empêcheront jamais qu’au milieu de tes saints
Je ne chante toujours ta bonté souveraine.
Je feray que ton nom très saint et admirable
En ma France sera sainctement honoré,
Afin qu’estant de moy et des miens adoré,
De plus en plus, Seigneur, tu nous sois favorable.